"Le rocher d'où jaillit l'eau vive", homélie du dimanche 27 mars

Publié le par Sanctuaire Notre-Dame du Laus (Hautes-Alpes)

 Messe du 3e dimanche de Carême A

Par le Père Ludovic Frère, Recteur du Sanctuaire

 

 

Au cours des 40 années passées au le désert, le peuple hébreu éprouva la soif. Il cria vers le Seigneur, qui ordonna à Moïse : « frappe le rocher ; il en sortira de l’eau et le peuple boira » (Ex 17,6). Commentant ce prodige, Saint Paul y voit une figure du Christ : « tous, ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ; car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était déjà le Christ », nous enseigne la première épitre aux Corinthiens (1 Co 10,4).

 

Oui, notre Sauveur est un Rocher ; il a la solidité du roc. Mais il n’est pas un caillou inerte : de ce rocher jaillit de l’eau qui étanche la soif, une eau que personne sur terre ne peut puiser par lui-même. Une eau qui nous désaltère entièrement puisqu’elle vient étancher toutes nos soifs, et nous savons bien à quel point nous avons soif, tellement soif de tant de choses !

 

* * *

 

Venant au puits de Sikar chercher de quoi se désaltérer, une Samaritaine va rencontrer ce Rocher duquel va jaillir pour elle une eau vive. Cette femme va comprendre que, pour assouvir sa soif véritable, ce ne sont pas ses efforts pour venir puiser qui importent : c’est de rencontrer le Christ. Elle va ainsi découvrir une eau qu’elle ne peut se donner à elle-même et qui est celle dont elle a le plus besoin ; le Seigneur va ainsi à la fois lui révéler sa vraie soif et lui offrir de quoi l’assouvir entièrement.

 

Il en est de même pour nous en ce temps du Carême : découvrir ou redécouvrir quelles sont nos vraies soifs, sans nous mentir à nous-mêmes, sans nous illusionner non plus sur ce que nous désirons vraiment. Par la grâce de Dieu, nous pouvons effectivement discerner ce dont nous avons véritablement besoin.

 

Comme nous tous, la femme de Samarie a du souvent confondre ses besoins vitaux et ses désirs du moment. Comme nous tous, elle est faite de désirs, bouillonnants et jamais totalement assouvis.

 

Ces désirs, notre foi nous les faits accueillir comme des signes de notre vocation éternelle : le Seigneur les a déposées en nous pour que nous aspirions à toujours plus grand, toujours plus beau, ce que seul le Paradis pourra nous offrir. Les désirs forts qui nous habitent sont ainsi des annonces que nous sommes en route vers plus de vie, plus de bonheur, plus de paix.

 

Mais, avec ces désirs, le Seigneur a aussi fait germer en nous une capacité de discernement qui nous permet de ne pas confondre nos aspirations éternelles et la finitude de notre existence terrestre. Or, notre principal drame me semble être de parvenir difficilement à assumer cette rencontre du désir et de la finitude ; et nous en venons à la folie de vouloir sans limites ce qui ne peut être que fini !

 

Le temps du Carême vient justement nous mettre en face de ce terrible paradoxe pour que nous cessions de nous épuiser dans de vaines recherches : ne mettons pas tant d’énergie, tant d’argent, tant de passion, dans ce qui ne pourra jamais apaiser nos soifs les plus grandes !

Dans la consommation toujours plus avide, par exemple, nous risquons de chercher plus ou moins consciemment dans les biens terrestres ce que seul le Ciel peut nous offrir. C’est vrai aussi dans le domaine affectif, où la tension entre nos aspirations infinies et notre confrontation à la finitude peut nous désemparer. Nous espérons tellement vivre la plénitude de l’amour ; et si dans une vie de couple, de famille ou d’amitié, il est effectivement possible d’avoir le cœur habité par un amour véritable, il nous faut pourtant accepter que les amours terrestres ne pourront jamais nous combler entièrement.

 

Dans toute relation d’amour, il y a donc cette rencontre de nos aspirations sans limites et de la finitude de toute créature et de toute chose. Cette rencontre délicate peut conduire à bien des déceptions, mais elle peut aussi être l’occasion de pardons, d’acceptations des limites de l’autre et de collaboration mutuelle pour avancer ensemble sur le chemin de la sainteté.

 

C’est justement sur le terrain de l’affectivité que va se jouer la discussion entre Jésus et la Samaritaine. Il faut dire que la vie de cette femme a été bien tumultueuse : elle a eu cinq maris, et elle vit désormais en concubinage avec un sixième homme. Elle a voulu aimer et être aimée, c’est bien normal. Mais elle s’est égarée dans cette quête légitime. Et elle le sait bien ; on ne peut se mentir à soi-même. Alors, elle cherche encore, son cœur n’est pas apaisé.

 

Et voilà qu’elle rencontre le Christ, qui va se révéler finalement comme le 7e homme de sa vie.

 

7, c’est le chiffre parfait ; l’époux parfait, le Christ époux de l’humanité assoiffée. Le Christ, époux de l’Eglise pour laquelle il donne sa vie. L’époux éternel vient apporter un terme à la recherche infructueuse de l’humanité qui ne sait plus comment assouvir ses désirs. Il vient les combler pour l’éternité.

 

Le voilà, notre Rocher d’où jaillit l’eau vive. Pour le peuple hébreu au désert, c’est au moment où la soif est la plus forte que l’eau jaillit du rocher. Pour la Samaritaine, c’est dans son vide affectif le plus désespérant qu’elle rencontre le Rocher qui abreuve. Et pour nous : où le Christ vient-il nous rejoindre ? Dans quel désespoir, quelle impasse, quelles inquiétudes ? En tout ce qui nous inquiète, tout ce qui paraît mort, désertique, desséché, savons-nous reconnaître que Jésus-Christ est l’eau vive ?

 

* * *

 

Dans notre pèlerinage de Carême, avant l’aveugle-né et Lazare ressuscité, c’est donc la figure de la Samaritaine qui nous est montrée, pour que nous puissions nous demander si nous ne sommes pas tous un peu comme elle : assoiffés sans jamais être totalement désaltérés par les sources qui viennent de la terre, nous entendons le Christ nous dire qu’il vient étancher toutes nos soifs, répondre à tous nos désirs.

 

La Samaritaine accepte de se laisser toucher, rejoindre et libérer par le Christ. Elle laisse le Sauveur avoir accès à son passé, à sa vie affective, à ses désirs désordonnés… et Lui, le Seigneur, vient tout remettre en place, tout apaiser et tout désaltérer. Osons-nous vivre le même élan que cette femme de Samarie ? Osons-nous croire que le Rocher peut donner l’eau vive ?

 

 

Le temps du Carême est donc là pour nous demander si nous croyons vraiment aux fêtes qu’il nous prépare à célébrer, et plus spécifiquement : si nous croyons que la lumière pascale peut tout rejoindre dans nos vies.

 

Croyons-nous que Dieu peut se servir de nos échecs pour en faire aujourd’hui des succès, des portes qui s’ouvrent ? Croyons-nous que le Seigneur est en train de nous abreuver, même si nous avons l’impression de traverser actuellement un désert ?

 

 « Si tu savais le don de Dieu ! », dit Jésus à la Samaritaine.

 

Non, en un sens : nous ne pouvons pas savoir, nous ne pouvons pas mesurer ce don de Dieu, tellement il est grand ! Et c’est peut-être d’abord là que se glissent nos manques de foi : nous ne croyons pas assez que le don de Dieu est infini.

 

Alors, en ce 3e dimanche de Carême, où nous sommes presque à mi-chemin de notre marche vers Pâques, laissons cette exclamation du Christ nous habiter et nous transformer : « si tu savais le don de Dieu ! ». Amen.

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