Homélie du 1er dimanche de Carême Par le Père Ludovic Frère, recteur du Sanctuaire

Publié le par Sanctuaire Notre-Dame du Laus (Hautes-Alpes)

Tentations du possible, de la parole et du désespoir

 

Ne vouloir se nourrir que de pain, mettre Dieu à l’épreuve de sa puissance, se prosterner devant Satan : voilà les trois tentations qui nous guettent en permanence. Sans doute, c’est avec d’autres mots que nous les exprimerions, mais à bien y regarder, les trois tentations auxquelles le Christ est confronté au désert rassemblent toutes celles de nos existences.


La première tentation, c’est de changer des pierres en pain et de penser ainsi à nos besoins physiologiques en oubliant que d’autres besoins attendent en nous d’être également nourris. Jésus peut effectivement changer des pierres en pain, Lui qui est Souverain de toute chose. Mais Il ne va pas le faire, nous invitant à distinguer dans nos vies ce qui est du domaine du possible et ce est fondamentalement bon.

 

C’est bien une tentation forte aujourd’hui : si c’est possible, alors c’est bon, ou du moins : ce n’est pas si mal, pourquoi nous en priver ? Et l’on en vient, par exemple, à utiliser des embryons - des vies humaines - comme des médicaments, parce que c’est possible !

 

Jésus, Lui, résiste à la tentation de réaliser quelque chose simplement parce que c’est possible ; il nous invite ainsi à renoncer à la tentation du possible pour aller plus en profondeur dans notre réflexion morale et pour hiérarchiser nos priorités : l’homme ne vit pas seulement de pain.

 

Ainsi, le Fils de Dieu ne s’est pas incarné pour se servir, mais pour servir le monde qu’il est venu sauver : Il Lui était possible de se servir en exigeant de recevoir l’honneur dû à sa divinité et en usant de sa puissance pour son avantage, par exemple en changeant des pierres en pain. Mais le Seigneur a préféré nous servir par son humilité, son anéantissement qui passe par son jeûne au désert et qui culminera dans sa mort sur la croix : une mort à Lui-même pour donner la vie. Cet abaissement, voilà qu’il l’aurait contrarié, remis en cause, s’il s’était servi de ses pouvoirs divins pour transformer des pierres en pain.

 

Le Christ, vivant la perfection de l’humanité, nous appelle ainsi tous à établir une hiérarchie qui organise et oriente tous nos désirs. Quand nous avons envie de quelque chose, quand nous savons que ça nous est possible, quels sont nos critères de choix ? Quelle hiérarchie de valeurs faisons-nous intervenir ?

 

Par sa résistance à la tentation du possible, le Seigneur nous montre que cette hiérarchie doit être enracinée, comme toute notre vie, dans la Parole de Dieu. Il la cite Lui-même : « ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». La première voix à écouter n’est pas celle de nos désirs, aussi légitimes soient-ils ; la première voix, c’est la Parole du Seigneur.

 

Voilà donc un appel à ce qu’au cours du Carême, nous accordions davantage de temps et d’attention à l’Ecriture Sainte : du temps pour méditer les lectures avant de venir à la messe, du temps pour ne pas passer une seule journée sans l’éclairer par la Parole vivante.


Mais écouter la Parole de Dieu est une nécessité non-suffisante. C’est bien ce que nous montre la deuxième tentation. Satan prend Jésus au mot, et avec subtilité, il cite Lui-même la Parole de Dieu, nous montrant par-là qu’il ne suffit pas de connaître les textes de la Bible pour être dans la vérité.

 

Il y a toujours le risque d’écouter la Parole pour se donner bonne conscience et l’oublier ensuite dans nos actes. Il est tout aussi risqué d’instrumentaliser la Parole de Dieu pour soutenir nos convictions personnelles : avec tel ou tel passage de la Bible, on peut quasiment tout justifier.  Le temps du Carême nous appelle donc à refuser cette deuxième tentation, qui consiste à tirer la Parole de Dieu à nous-mêmes.

 

Mais, plus largement, la vigilance à ne pas détourner la Parole divine peut nous rendre attentifs à ne dénaturer aucune de nos paroles. Si le Seigneur nous a dotés de la parole, c’est pour en faire un moyen pour nous comprendre ; mais nous pouvons la transformer en un pouvoir sur les autres.

 

Par le mensonge, la critique, la calomnie, nous pouvons faire de la parole l’exact contraire de ce pour quoi le Seigneur l’a voulue, Lui qui est la Parole éternelle, qui donne vie et qui relève. Tentés par le Père du Mensonge, nous pouvons faire de nos paroles des armes de destruction, des projectiles mortels, des instruments de division.

 

Les 40 jours du temps du Carême se présentent donc comme un moment favorable pour repenser notre rapport à la parole. En méditant davantage celle de Dieu, en limitant nos paroles par plus de place laissée au silence, en discernant la portée des mots que nous prononçons, nous pouvons faire de ce Carême un véritable temps de conversion et de lutte contre le mal.


Mais voilà qu’après la tentation du possible et la tentation de la parole, le Christ doit affronter une troisième tentation, qui est assurément la plus redoutable.

 

Redoutable, parce qu’elle joue à plein sur un registre cher à Satan, celui de la suggestion. Les paroles du Malin font froid dans le dos, quand il affirme, au sujet des royaumes de la terre : « tout cela, je te le donnerai ». Sous entendu : « tout cela m’appartient ! » Le monde serait-il donc irrémédiablement possédé par Satan, dans tous les sens du terme ?

 

Peut-être cette troisième tentation réside-t-elle justement d’abord dans le fait de nous laisser croire que le monde entier appartient au Mal. C’est un réflexe qui peut être le nôtre, dans le monde si déstabilisant où nous vivons : la tentation du désespoir…tout est foutu, il n’y a plus rien à attendre.

 

C’est la tentation de s’arrêter aux apparences, de penser que le mal est plus fort que le bien. La tentation du vendredi Saint : croire que l’espérance est morte. La tentation du Samedi Saint : croire que Dieu se tait devant la mort. La tentation de penser que tout est fini et qu’il n’y a pas de lumière au bout du tunnel.

 

Le temps du Carême, puisqu’il conduit à Pâques, nous appelle à identifier précisément nos tentations du désespoir et à lutter fermement contre elles. « Arrière Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu ». 40 jours de Carême pour choisir les pensées de Dieu plutôt que les nôtres ; et les pensées de Dieu sont des pensées de salut, de vie, d’éternité.

 

La tentation du possible, la tentation de la parole, la tentation du désespoir. Si notre Seigneur Jésus les a affrontées, s’il en est sorti victorieux après les 40 jours au désert, c’est pour que, nous aussi, nous vivions par ce Carême 40 jours d’une proximité telle avec Lui que nous puissions laisser sa victoire sur le mal devenir nôtre, et que la grande célébration pascale vers laquelle nous cheminons puisse réellement nous rejoindre et nous transformer.

 

Alors, comme le Christ et avec le Christ, faisons de ces premiers jours de Carême l’occasion d’un grand effort de lucidité pour identifier les tentations qui nous détournent de la Source de la Vie. Et une fois ces tentations démasquées, ouvrons-nous largement pour accueillir les grâces du Carême, car le Seigneur peut nous rendre vainqueurs des tentations les plus tenaces.

 

Pour y parvenir, il nous demande une seule chose : la fidélité à Le suivre. Le suivre au désert, le suivre jusque sur la croix et dans le tombeau, pour ensuite ressusciter avec Lui.

 

Amen

 

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