« Saint ou Héros ? », homélie du dimanche 20 février

Publié le par Sanctuaire Notre-Dame du Laus (Hautes-Alpes)

Homélie par le Père Ludovic Frère, recteur du Sanctuaire

 

(Téléchargez ici cette homélie) 

 

« Soyez saints, car moi, le Seigneur Dieu, je suis saint » (Lv 19,2). Cet appel à la sainteté, que Moïse reçut pour mission de transmettre au peuple, il faut bien reconnaître que nous l’accueillons plutôt d’une oreille distraite ou inquiète. Ce projet nous effraie, tant il semble hors de notre portée.

 

Cette lucidité sur nous-mêmes est, en un sens, tout à notre honneur ; mais connaître nos limites et nos péchés ne devrait cependant pas nous faire reculer devant le projet que Dieu a sur chacun d’entre nous. Qui sommes-nous donc pour dire à Dieu que ce qu’il veut n’est pas réalisable ?

 

Le problème avec la vocation universelle à la sainteté, c’est que nous l’accueillons souvent comme une exigence d’impeccabilité, en nous doutant que jamais, sur terre, nous ne pourrons l’atteindre. Certes, le Christ vient de poser clairement l’exigence dans l’Evangile de ce jour : « soyez parfait, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). Mais qui d’entre nous oserait prétendre qu’il est capable de répondre à ce commandement ? Personne n’est parfait, pensons-nous.

 

Là aussi, nous confondons, me semble-t-il, la perfection chrétienne et l’impeccabilité, la sainteté et l’héroïsme. Les grands saints, nous les voyons peut-être à tort comme des héros, alors que nous, parce que nous nous connaissons bien, nous nous savons pauvres créatures qui peinent sur le chemin de la sainteté.

 

Mais en fait, le Seigneur n’attend pas des héros ; et je trouve personnellement que le terme attribué dans les procès de béatification est un peu ambigu : on parle de « l’héroïcité des vertus », reconnues pour que l’on puisse proclamer une personne « vénérable », comme ce fut le cas pour Benoîte Rencurel le 3 avril 2009. Certes, on parle bien « d’héroïcité des vertus », non pas de « personne héroïque », mais l’on risque la confusion.

 

Or, si l’on avait dit à Benoîte qu’elle était une héroïne, elle aurait assurément refusé cette attribution : elle connaissait ses réticences à la grâce, que les manuscrits du Laus ne cachent absolument pas. On peut bien sûr voir dans certaines attitudes de Benoîte des gestes qui confinent à l’héroïsme, par exemple quand, toute jeune, elle donne son pain aux enfants de la veuve Astier, quitte à se priver elle-même pendant une semaine.

 

Mais Benoîte ne l’a pas fait par héroïsme, elle l’a fait par charité ; elle l’a fait parce qu’elle a un cœur ouvert, qui ne supporte pas de voir les autres souffrir. De la même manière, on pourrait dire que des parents qui font tout pour soigner leur enfant malade sont des héros, mais ils n’accepteraient pas ce terme. Quand c’est l’amour qui nous porte à faire de grandes choses, nous ne nous prenons pas pour des héros. Quand il est évident que nous devons faire le bien, aider les autres, partager, nous savons que ce n’est pas de l’héroïsme ; c’est juste une ouverture du cœur, tellement logique, tellement naturelle. Ce qui n’est pas normal, c’est de rester fermé, sourds à l’appel des autres.

 

Nous le voyons : la sainteté n’est pas l’héroïsme, mais c’est une telle ouverture à l’amour que plus rien n’y fait obstacle. Et cette ouverture, nous en sommes capables ; voilà ce que dit la Parole de Dieu en ce jour. Nous en sommes capables ! Alors, effectivement, il est possible de répondre à cet appel que le Christ vient de nous lancer : « soyez parfait comme votre Père céleste est parfait ». Il est à notre portée de ne pas mettre d’obstacle à l’amour ; c’est même pour cela que nous avons été créés et sauvés.

 

La perfection chrétienne consiste donc à correspondre à ce pour quoi Dieu nous a faits. Per-fection : fait-pour. Nous sommes faits pour aimer, pour donner, pour partager : alors, soyons davantage ce pour quoi nous sommes faits !

 

Le Seigneur ne nous a pas créés pour l’égoïsme et le repli sur nous-mêmes, nous le savons : d’ailleurs, ces comportements nous rendent malheureux. Nous sommes faits pour aimer et pardonner, alors ayons des attitudes par-faites. Dieu ne veut pas que nous utilisions nos langues à blesser les autres, alors ayons un langage par-fait. Le Seigneur ne nous a pas faits pour entretenir des rancunes, des haines et des jalousies, alors ayons des pensées par-faites.

 

Ne refusons pas ce pour quoi nous avons été amenés à l’existence. Tant que nous y résistons, nous ne pouvons trouver la paix. Tant que nous nous refusons à ce qui est notre être-même, nous ne pouvons pas être heureux.

 

Pourquoi notre Sanctuaire du Laus est-il si souvent reconnu comme un lieu de paix ? Non pas seulement, me semble-t-il, parce que le bruit du monde y est moins présent et que la nature est rayonnante ; mais aussi parce qu’avec la Vierge-Marie et Benoîte, il est possible ici de se retrouver soi-même, de s’unifier dans le Christ, de redécouvrir ce pour quoi nous sommes créés et sauvés : la louange de Dieu et l’amour entre nous.

 

Tant que nous résistons à cela, nous sommes dans la tourmente. Mais si nous y répondons, alors nous devenons par-faits, nous correspondons à ce pour quoi Dieu nous a faits.

 

Chers frères et sœurs, c’est donc aussi simple que cela : si nous ne voulons pas être parfaits, changeons de religion !

 

Mais d’abord, peut-être, changeons d’attitudes ! Souvent paralysés par des habitudes confortables qui nous font craindre tous les changements ou au contraire tellement en attente que des choses changent dans nos vies, souvent égarés par tout ce après quoi nous courrons sans toujours discerner si c’est vraiment bon pour nous, nous perdons de vue la nécessité vitale de correspondre à ce pour quoi Dieu nous a faits.

 

Aujourd’hui, la Parole de Dieu nous appelle donc à nous recentrer sur l’essentiel, et pour cela, à nous mettre à l’écoute de l’Esprit Saint. Dans la deuxième lecture, Saint Paul l’a dit très clairement : « n’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous » (1 Co 3,16). « Ne l’oubliez pas » : l’Hôte intérieur est là pour nous guider vers la perfection.

 

La sainteté n’est donc pas une performance, elle est une acceptation - parfois difficile et toujours audacieuse - de laisser l’Esprit-Saint nous guider pour que nous soyons toujours plus ce pour quoi Dieu nous a faits et sauvés : des tabernacles de sa Présence, jusqu’à ce qu‘éternellement Il soit « tout en tous » (1 Co 15,28).

 

« Soyez saints, car moi, le Seigneur Dieu, je suis saint » (Lv 19,2). « Soyez parfait, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). Si ce double appel pressant nous fait peur ou nous parait hors de portée, c’est que nous n’avons pas encore bien compris l’œuvre de la grâce : nous pensons encore que tout va dépendre de nous, alors que nous sommes les temples de l’Esprit-Saint. Si Dieu habite en nous, n’a-t-il pas la capacité, Lui le Tout-puissant, à réaliser ce dont nous ne nous croyons pas capables ?

 

Si le Christ s’est incarné afin de porter l’humanité à son accomplissement en Lui, reconnaissons aussi que, Lui ressembler par une vie parfaite, c’est une réalité « incarnée » elle aussi. C’est à notre portée ; ça se joue dans les petites choses de la vie.

 

Je crois devoir reconnaître, par exemple, qu’il existe dans notre assemblée régulière en ce lieu, des personnes qui, se croisant avant ou après la messe, ne se saluent même pas, parce qu’elles ont quelque différent. En cela, font-elles réellement ce qui est parfait, ce pour quoi Dieu nous a faits ? La perfection ne réside-t-elle pas justement dans l’attention à faire miséricorde comme le Seigneur fait miséricorde, et à nous respecter éminemment les uns les autres parce que l’Esprit de Dieu habite en nous ?

 

Nous chrétiens, nous sommes souvent de formidables amoureux théoriques : tous ici, nous sommes convaincus que Dieu est Amour et qu’il faut aimer son prochain. Mais le Seigneur n’en a rien à faire de nos théories : « montre-moi ta foi qui n’agit pas, dira Saint Jacques ; moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi » (Jc 2,18). L’hypocrisie dénoncée par Jésus n’est jamais bien loin, de même que la paille vue dans l’œil de l’autre plutôt que la poutre qui nous aveugle.

 

Arrêtons d’être des théoriciens de l’amour : aimons en actes, et nous serons parfaits. L’amour des ennemis, c’est possible, sinon le Christ ne nous le demanderait pas. Alors, faisons-le. Je vous invite à penser, au cours de cette messe – et particulièrement peut-être au moment de l’offertoire – à ceux que vous n’arrivez pas à supporter (pour certains, le temps de l’offertoire ne sera peut-être pas assez long ; j’essaierai de ne pas encenser trop rapidement !).

 

Identifiez bien ceux que vous n’aimez pas ou pas assez ; et posez devant le Seigneur, par l’intercession de Marie et de Benoîte, l’acte volontaire de les aimer, grâce à Dieu : laissez l’Esprit-Saint qui vous habite aimer à travers vous.

 

Il y a sûrement quelque chose de surnaturel dans l’amour des ennemis, dans l’amour tout court d’ailleurs. Et si nous passons pour fous aux yeux du monde à accepter de ne pas entretenir de rancune, de ne pas rendre la pareille ou de pardonner sans attendre en retour, eh bien tant mieux : ça veut dire que nous avons véritablement choisi  de plaire au Christ plutôt que de plaire au monde ou de nous plaire à nous-mêmes.

 

Notre manque d’enthousiasme à suivre la sainteté réside ainsi peut-être dans notre trop grand attachement aux choses de ce monde. Car nous savons que sainteté et réussite humaine ne sont généralement pas vraiment synonymes. Nous avons peur de perdre quelque chose en suivant le chemin de la perfection. Nous savons que nous allons y laisser des plumes : une ambition, des projets, des attachements matériels, des pouvoirs plus ou moins habillement camouflés en services… forcément, la perfection se joue dans une prise de distance avec ce qui n’est pas parfait.

 

Or, les biens de cette terre et les honneurs humains sont intrinsèquement marqués par l’imperfection, la finitude, la vanité. Alors, la perfection à laquelle le Seigneur nous appelle se joue nécessairement dans une prise de distance avec ce qui nous empêche d’aimer vraiment et sans rien attendre en retour.

C’est la manière d’agir du Seigneur, c’est son être même. « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ».

 

Amen.

 

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