"Des bassesses au Très-Haut", homélie du dimanche 31 octobre 2010

Publié le par Sanctuaire de Notre-Dame du Laus

Par le père Ludovic Frère, recteur

 

DES BASSESSES AU TRES-HAUT

 

 

Un petit homme à Jéricho.

Jéricho est, dit-on, la ville la plus basse du monde : 300 mètres au-dessous du niveau de la mer. Dans cette ville, un homme, dont l’évangéliste précise qu’il était « de petite taille ». Clairement, cet épisode va être une histoire de bassesse et de prise de hauteur. La ville est basse, l’homme est bas…ses actions, aussi, sont basses : en tant que collecteur d’impôts, on peut penser qu’il s’est bien rempli les poches !

 

Mais cet homme de bassesses va prendre de la hauteur. Il monte sur un sycomore, et ainsi il peut s’élever de la foule pour voir Jésus. De même, il nous faut parfois monter pour sortir de la foule : sortir des modes, sortir de tous ces discours et bavardages qui peuvent étouffer en nous la Parole de Dieu. Il est utile de savoir prendre de la hauteur. Le Sanctuaire du Laus, dans son cadre magnifique de montagnes enneigées - et dans ce qui s’y vit de plus magnifique encore par l’intercession de la Vierge Marie et de Benoîte - nous aide à prendre de la hauteur sur notre vie, sur nos difficultés, sur nos projets. Cette prise de hauteur nous permet de voir Jésus.

 

Voir Jésus, c’est d’ailleurs la seule motivation de Zachée. Ce n’est pas encore un acte de foi très profond ; c’est sans doute davantage de la curiosité, ou peut-être la perception que ce guérisseur mérite d’être vu. L’acte de foi, le Christ en précisera toute la portée après sa résurrection d’entre les morts : « heureux celui qui croit sans avoir vu ». Zachée n’en est pas encore là ; pour l’instant, il veut simplement voir.

 

Mais tout se trouve bouleversé quand, au regard de Zachée sur Jésus, répond un autre regard : « Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux ». Le regard du Seigneur rencontre celui du pécheur. Les yeux sont le miroir de l’âme, dit-on souvent ; alors, qu’est-ce que ça doit être de se retrouver les yeux dans les yeux avec le Christ ! On doit y percevoir toute la puissance de son amour divin, et Lui doit voir en nous toutes nos fragilités comme nos désirs d’être meilleurs. Le regard du Christ, c’est un regard qui ne porte que de l’amour… Zachée, à cet instant précis, a du en être bouleversé, irrémédiablement bouleversé.

 

Après ce regard : une parole, qui sera d’ailleurs la seule parole qui nous est rapportée du Christ à Zachée : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi ». Il y a tout dans cet appel.

 

« Zachée » : Jésus commence en l’appelant par son prénom. Personne ne le lui a dit commet s’appelait ce petit homme perché sur un arbre, mais, depuis toujours, le Seigneur nous connaît par notre prénom, ce qui fait dire au psalmiste : « c’est Toi qui m’as tissé dès le sein de ma mère ; Seigneur, tu me connais » (Ps 139,13).

 

Même ceux qui aux yeux des autres n’ont pas de nom – on peut penser que tous appelaient Zachée : « le collecteur d’impôt », voire pire encore – même les rejetés reçoivent du Christ la dignité d’un prénom. C’est ce que marque le début de la liturgie du baptême, quand c’est par son prénom que l’enfant reçoit le signe de la croix sur le front. Appelé par son prénom, Zachée peut, lui aussi, entrer dans la vie.

« Descends vite », dit ensuite Jésus. Après lui avoir donné de la dignité, le Seigneur lui donne un ordre, celui de descendre de son arbre. Zachée, le petit, dans la ville la plus basse, s’était élevé. Jésus veut qu’il descende ; le collecteur d’impôts va ainsi comprendre qu’avec le Christ, on ne s’élève pas par ses propres moyens.

 

Rien de nos richesses, rien de nos mérites – pas plus l’effort d’être grimpé sur un arbre que nos attentions à faire le bien et à respecter la loi divine – rien ne nous élève, sinon nos abaissements, comme Jésus nous l’enseignait dimanche dernier : « qui s’abaisse sera élevé, qui s’élève sera abaissé ».

 

Alors, le Seigneur commence ce mouvement d’abaissement de Zachée, qui se concrétisera par le choix volontaire du collecteur d’impôts de s’abaisser devant ceux qu’il aurait pu voler : Il leur rendra quatre fois plus !

 

Oui, Zachée doit descendre. Lui, le petit, s’était élevé par sa condition sociale, par sa villa qui devait être l’une des plus belles de Jéricho. Mais désormais, il a croisé le regard du Christ ; alors, c’en est fini de ses fausses prises de hauteurs !  Zachée, comme nous tous, peut revoir les priorités de sa vie. Son changement radical nous interroge sur nos centres d’intérêt et nos préoccupations : nous permettent-ils de voir le Christ, ou nous empêchent-ils de Le rencontrer ? Une fois ce discernement effectué, tirons-en les conséquences.

 

Mais tirons-les vite. Car c’est ainsi que se poursuit l’apostrophe de Jésus à Zachée : « descends vite » ! Il y a bien une urgence à rencontrer le Christ. Jésus est impatient de venir demeurer en nous. C’est l’impatience de l’Amour, qui fait de l’ordre du Christ (« descends ») une supplication presque plaintive : « descends vite »… l’Amour ne peut attendre, l’Amour a tellement hâte de nous rejoindre. « Descends vite » : tu as trop longtemps cherché à t’élever par toi-même… désormais, descends, plonge dans l’Amour !

 

Et comme si cette urgence n’était pas assez évidente, Jésus poursuit : « aujourd’hui » avec le Seigneur, on ne remet pas à demain. Combien de conversions, combien d’abandons, combien  de renoncements aux richesses et honneurs de ce monde avons-nous remis au lendemain ? ça suffit ! Avec Jésus, c’est « aujourd’hui » : aujourd’hui pour les efforts, mais surtout : aujourd’hui pour la rencontre, aujourd’hui pour vivre une relation profonde avec notre Sauveur et nous laisser habiter par sa Présence. Le Christ nous attend dans l’aujourd’hui, alors-même que nous vivons beaucoup dans le passé ou que nous projetons beaucoup sur l’avenir. Il est temps de l’entendre, cet appel du Seigneur : « aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer chez toi ».

 

D’autant que cet « aujourd’hui » est un impératif : « Zachée, il faut que j’aille demeurer chez toi ». Ce n’est pas une simple invitation que le Christ se fait à Lui-même : c’est une nécessité absolue qui s’impose à Zachée. Du reste, on ne l’entend pas récriminer ni même hésiter : il a perçu - sans doute dès qu’il a croisé le regard du Christ - que cet impératif n’était pas tant imposé par Jésus qu’imposé par lui-même, par ce que les profondeurs de son être lui disent être vrai, lumineux, source de paix et de bonheur.

 

D’ailleurs, il est surprenant de voir avec quelle facilité ensuite, Zachée se libèrera de sa fortune : car il a rencontré la plus grande des richesses, à côté de laquelle tout le reste n’est que vanité. Alors, son attitude nous interroge si, pour nous aussi, Jésus est vraiment notre grande richesse, rendant toutes les autres futiles ou même dangereuses.

 


« Aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer chez toi ». C’est plus qu’une simple rencontre. « Demeurer », c’est rester, à long terme. Le Christ ne se présente pas comme quelqu’un de passage ; s’il vient, c’est pour « demeurer », être chez nous pour longtemps. Rester, même quand nous ne sommes pas dignes de l’avoir sous notre toit. C’est sa décision à Lui : il veut demeurer, nous transformer petit à petit, nous consoler et nous éclairer.

 

« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi ».

Comprenons-nous que cet appel s’adresse à chacun d’entre nous ?

 

Je vous invite à prendre cet appel à votre compte, quel que soit votre chemin de foi, quelle que soit la souffrance avec laquelle vous êtes venus aujourd’hui au sanctuaire du Laus : c’est à chacun d’entre nous que le Christ dit : « descends vite : aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer chez toi ».

 

Ne restons pas insensibles à cet appel, que nous lance Celui qui est venu « chercher et sauver ce qui était perdu ».

Amen.

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