Catéchèse sur le dogme de l'Immaculée Conception

Publié le par Sanctuaire de Notre-Dame du Laus

Le dogme de l’Immaculée Conception

Catéchèse par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire

au cours de la prière des Vigiles du 7 décembre 2010

 

 

I - « Pleine de grâce »

« Je te salue, comblée de grâce » : telles sont les premières paroles de l’ange à Marie.

Le premier dialogue entre le Créateur -  par la médiation de son ange - et la plus belle de ses créatures commence par ces mots : « je te salue, comblée de grâce ».

Si Marie est « comblée de grâce », cela signifie qu’il n’y a plus de place, en elle, pour autre chose que pour la grâce. Quand on est comblé, on est rempli jusqu’à ras-bord ; totalement remplie par la grâce, Marie n’a donc en elle que la grâce, depuis qu’elle existe, c’est-à-dire depuis sa conception. Pour comprendre l’immaculée conception, il faut donc d’abord bien comprendre ce qu’est la grâce. Je vous propose de commencer par l’usage courant que nous faisons de ce mot, dans notre expérience humaine.

« La grâce », c’est d’abord la beauté. On dit par exemple d’une danseuse qu’elle est « gracieuse », dans l’harmonie de ses mouvements. Marie est « comblée de grâce », comblée de beauté : tellement belle intérieurement qu’il n’y a pas de place en elle pour la laideur. Or, la plus grande des laideurs, c’est le péché, qui n’a donc jamais eu de place en Marie, la toute belle.

« La grâce », ça veut dire aussi la gratuité. Marie est « comblée de grâce », elle est donc tout habitée par la gratuité. Il n’y a aucune place en elle pour une quelconque forme de cupidité ou de marchandage. Nous venons d’ailleurs de l’entendre dans l’Evangile : Marie ne marchande pas son corps avec l’ange : elle le donne, elle l’abandonne au projet de Dieu.

Puisque Marie est toute remplie de gratuité, aucune des mauvaises richesses humaines - à commencer par la plus honteuse et la plus répandue qu’est l’orgueil – ne peut l’imprégner. « Comblée de grâce », Marie n’a jamais été touchée par le désir des mauvaises richesses ; avant-même son choix de se donner, Marie était totalement habitée par la gratuité, depuis sa conception dans le sein d’Anne, sa mère.

« La grâce », c’est aussi la vie. Ne dit-on pas d’une personne qui échappe à la peine de mort qu’elle a été « graciée » ? Dieu fait grâce, sans cesse, particulièrement dans le sacrement de la Réconciliation, mais encore par tous les moyens que sa Miséricorde infinie veut employer pour nous rejoindre et nous sauver. Si Marie est « comblée de grâce », c’est qu’elle est comblée de vie, comblée de la Vie divine. Il n’y a donc aucune place en elle pour autre chose que pour la splendeur de la vie, aucune place pour les œuvres de mort, les œuvres du péché, les œuvres du mal.

La grâce, c’est la beauté, c’est la gratuité, c’est la vie : ce que notre langage exprime de la grâce naturelle peut aussi nous éclairer sur ce qu’est la grâce surnaturelle, c’est-à-dire la grâce donnée par Dieu.

Cette grâce n’est pas une réalité quantifiable – on ne possède pas « un kilo » ou « un litre » de grâces ! - :  c’est une réalité relationnelle. La grâce, c’est la relation d’amour que le Seigneur vit avec nous, indépendamment de nos mérites… et finalement, la grâce, c’est, pourrait-on dire, la Personne-même de Jésus.

Le Christ est bien la Grâce du Père, le reflet de la beauté divine, l’expression de sa gratuité, le don total de sa vie. Marie est donc « comblée de grâce » parce qu’elle va enfanter Celui qui est la Grâce en personne, Celui qui est la Vie, la gratuité, la beauté.

Mais à bien écouter l’Evangile de l’Annonciation, nous comprenons que cette grâce est anticipée : Marie va accueillir en elle le Fils unique du Père ; mais, avant-même qu’elle dise « oui » à ce projet divin, l’ange la salue ainsi : « comblée de grâce ».

C’est-à-dire qu’avant de concevoir le Verbe fait chair, Marie portait déjà en elle « sa marque », si l’on peut dire. De manière non-charnelle, « quelque chose du Christ » était déjà présent en Marie depuis qu’elle avait été conçue ; « quelque chose » de non-matériel, bien évidemment, quelque chose d’une relation qui était déjà établie. Marie était déjà en relation avec le Fils éternel à qui elle allait donner naissance selon la chair.

Ainsi, la grâce du Fils agissait déjà en Marie et la comblait, depuis le premier instant de sa conception. Marie est donc préservée du péché originel par une grâce d’anticipation de la présence sanctifiante du Sauveur. Dès sa conception dans le sein d’Anne, Marie bénéficie des mérites  de la victoire du Christ sur la croix ; j’y reviendrai tout à l’heure.

 

 

II – Histoire de la dévotion puis de la proclamation du dogme

« Je te salue, comblée de grâce » : la Parole de Dieu nous introduit donc bien au mystère de l’Immaculée conception de la Vierge Marie ; et si ce dogme a attendu l’année 1854 pour être proclamé par le Pape Pie IX, l’Eglise avait perçu bien auparavant la grâce dont Marie, préservée du péché, avait bénéficié dès sa conception.

Au 7e siècle, des monastères orientaux célébraient déjà une fête de l’Immaculée Conception de Marie, puis en Italie au 9e siècle et en Angleterre au 10e siècle. C’est logiquement 9 mois avant la naissance de Marie, fêtée le 8 septembre, que l’on prit l’habitude de célébrer sa conception le 8 décembre.

Mais tout le monde n’accueillait pas facilement le fait que Marie ait été préservée du péché depuis sa conception. Saint Thomas d’Aquin,  au 13e siècle, était contre cette doctrine de l’exemption de Marie du péché originel.

Les disciples de Saint François d’Assise y étaient davantage attachés : en 1263, le chapitre franciscain présidé par Saint Bonaventure établit la fête de la Conception immaculée de Marie comme obligatoire dans tout l’ordre. Duns Scott insistera : c’est le Christ qui préserva sa mère de tout péché.

Le Magistère de l’Eglise se montra favorable à cette dévotion, avec une messe de l’Immaculée Conception approuvée par Sixte IV en 1477, mais retirée par Pie V en 1570, dans la perspective d’une simplification du missel (il retira aussi, notamment, la fête de la Nativité de Marie du 8 septembre. Marie est pourtant bien née ; supprimer une fête ne signifie donc pas nier la réalité qu’elle portait).

 

Il faut attendre 1854 pour que le Pape Pie IX proclame le dogme de l’Immaculée Conception, après avoir consulté les théologiens et interpelé les évêques du monde entier sur l’opportunité et la possibilité d’une telle définition. Dans une catéchèse, le Pape Jean-Paul II commentera qu’il s’agissait là « presque d’un ‘concile par écrit’ » dont « le résultat fut significatif : l’immense majorité des 604 évêques répondit de façon positive à la question ».

Mais, quoi qu’il en soit de ce développement tardif du dogme, il ne faut pas nous y tromper  : défini désormais par le Pape, l’Immaculée conception de la Vierge Marie est une vérité de foi. Pie IX précise très clairement dans la bulle « ineffabilis Deus » du 8 décembre 1854 que ceux qui refusent d’accueillir ce dogme « se condamnent eux-mêmes par leur propre jugement, ont fait naufrage dans la foi et se sont séparés de l’unité de l’Eglise ».

 

 

III - Le dogme de l’Immaculée Conception

Notre responsabilité est donc d’accueillir ce dogme autant que de chercher à bien en saisir le sens. Il est défini ainsi par Pie IX :

« la Vierge Marie a été, dans le premier instant de sa conception

-         par une grâce et une faveur singulières du Dieu tout-puissant,

-         en vertu des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain,

-         préservée intacte de toute souillure du péché originel ».

La phrase est longue – et encore, j’ai coupé son introduction. Elle est dense, aussi ;  alors, regardons bien tout ce qui nous y est dit.

« Par une grâce et une faveur singulières du Dieu tout-puissant ».

Le Pape insiste sur la dimension « singulière » de cette grâce : singulière, c’est-à-dire qu’elle n’est pas plurielle, elle est unique. Il n’y a que Marie qui a bénéficié de cette grâce à sa conception.

Le Concile Vatican II enseignera, dans la constitution Lumen Gentium, que Marie « fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d’une si grande tâche » (LG 56). Cette tache si grandiose, c’était de donner naissance à l’unique Sauveur du Monde, le Fils unique de Dieu de toute éternité.

Reconnaître l’Immaculée Conception de Marie, c’est donc d’abord reconnaître la nature de Celui à qui elle va donner naissance : c’est le Fils éternel, la deuxième Personne de la Sainte Trinité, qui se fait chair. Le Saint entre en relation unique avec Marie, dans une union tellement forte qu’il n’y a plus de place pour la désunion. Or, qu’est-ce que le péché, sinon nous désunir de Dieu et de son projet ? Marie, avant-même qu’elle le comprenne et qu’elle le choisisse, est dès sa conception en union tellement intime avec le Seigneur qu’il n’y a pas « d’espace de désunion », donc pas de trace de péché.

Comprenons donc bien que le dogme de l’Immaculée Conception est le prolongement de la révélation de l’Incarnation et de la Rédemption : le Fils unique de Dieu se fait chair pour réunir ce que le péché avait désunit, pour ramener de la relation d’amour là où s’était infiltré, par le péché, la défiance et le rejet de Dieu.

Célébrer l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, c’est donc d’abord contempler la grandeur du Christ et la splendeur du salut qu’il nous donne gratuitement. Alors, si le 8 décembre a été choisi pour une raison chronologique (9 mois avant la naissance de Marie, fêtée le 8 septembre), célébrer cette fête au cours de l’Avent est aussi profondément significatif : en Marie, avant même qu’elle donne naissance au Sauveur du monde, le salut est déjà à l’œuvre pour préparer le chemin du Seigneur.

C’est pourquoi la définition dogmatique de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie se poursuit ainsi : c’est « en vertu des mérites de Jésus-Christ » que Marie a été conçue immaculée.  Rendez-vous compte : elle a reçu une grâce venant des mérites de Celui qu’elle-même concevra, une quinzaine d’années environ après sa propre naissance !

Voilà qui nous oblige à penser le temps sous un autre angle que notre ordre temporel actuel. Pour nous, le passé, le présent et le futur se succèdent, selon un ordre chronologique. Un événement qui aura lieu « après » ne peut donc pas avoir de conséquences « avant ».

Tentons maintenant de poser un regard divin sur le temps, si l’on peut dire. L’Eternité de Dieu transcende « l’avant » et « l’après », si bien qu’il est possible, à partir de l’Eternité divine, de comprendre qu’au jour de sa conception, la Vierge Marie bénéficie déjà des mérites que son fils Jésus obtiendra par le don de sa vie sur la croix, quelque cinquante années plus tard !

Ces mérites, ce sont ceux de la victoire sur la mort et sur le mal : les mérites de la puissance de l’Amour, que rien ne pourra dominer. C’est donc le salut par la croix qui transcende le temps pour rejoindre Marie dès sa conception, comme l’enseigne le dogme : « en vertu des mérites de Jésus-Christ ».

L’Immaculée Conception de la Vierge Marie nous renvoie donc aussi à notre vie quotidienne : si les mérites de la Passion du Sauveur ont eu des conséquences sur « l’avant » – dans le corps de Marie – ils ont bien entendu des conséquences aussi sur « l’après », dans le corps de l’Eglise. Depuis notre baptême, qui nous a plongés dans la mort avec le Christ pour ressusciter avec Lui, donc qui nous a libérés du péché originel, nous bénéficions de cette grâce d’avoir été rachetés par le Christ et de recevoir sans cesse les armes efficaces pour lutter contre le mal.

Nous avons été baptisés dans la mort du Christ pour participer déjà à sa résurrection. Le péché originel dont nous étions marqués a été englouti dans les eaux de la vie nouvelle. Ce qui nous a rejoints  par le sacrement du baptême est survenu en Marie au jour premier de sa conception.

Et c’est pourquoi la définition du dogme de l’Immaculée Conception précise ensuite que la Vierge fut « préservée de toute souillure du péché originel ». Il convient donc de s’arrêter quelques instants à ce qu’est le péché originel.

Le péché des origines nous est présenté, au début du livre de la Genèse, comme une désobéissance de l’homme parce qu’il se méfiait de Dieu : et si le Créateur voulait nous tromper ? Cette défiance à l’égard du Seigneur conduit l’homme à s’éloigner. Il préfère la solitude loin de Dieu à la confiance en Dieu.

Voilà donc la nature du péché : se méfier de Dieu et donc choisir de se couper de lui. Tout péché se rapporte, d’une manière ou d’une autre, à cette réalité fondamentale.

Ce péché est « originel », à la fois source de tous les autres et premier à avoir été commis. Nous avons entendu, dans la première lecture de ces vigiles, ces paroles de Saint Paul : « Par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché ».

Mais comment se fait cette transmission ? Voilà une question bien délicate, car on peut avoir vite fait de « chosifier » le péché originel, comme s’il était un virus ou une bactérie se transmettant de génération en génération. Le péché originel n’est pas une tare génétique, il n’est pas matériel, il est relationnel.

Mais de même que, sur le plan physique, nous sommes tous porteurs d’un patrimoine génétique qui nous donne des particularités indépendantes de notre volonté, de même, sur le plan relationnel, nous sommes tous porteurs de cette marque du péché qui nous éloigne de Celui qui nous a créés et qui nous a tout donné.

Cette notion du péché originel a du mal à être accueillie de nos jours, en raison – me semble-t-il – de l’insistance sur la responsabilité personnelle : comment penser pouvoir être complice d’un mal alors qu’on n’est même pas coupable, n’ayant posé aucun acte libre ?

A cette objection, on pourrait certainement opposer que tout être humain, quelle que soit son éducation, son origine, son époque, éprouve une vraie complicité avec le mal. Soit c’est la vie sociale qui infuserait ce sens du mal en nous, au fur et à mesure de notre éducation ; soit ce sens du mal serait inscrit en nous : c’est ce que l’Eglise reconnaît et enseigne à travers la doctrine du péché originel.

Dans le psaume 51, le psalmiste confesse : « pécheur, ma mère m’a conçu ». Le seul être humain à ne pas pouvoir reprendre ces paroles, c’est Marie – et le Christ bien entendu, en tant qu’il est vrai Dieu et qu’il est devenu « semblable aux hommes à l’exception du péché ». Marie a été préservée de cette souillure du péché originel, parce qu’elle allait porter dans son corps Celui qui n’a aucune complicité avec le péché.

 

IV – Marie a répondu au don de la préservation

Confesser que Marie a été préservée du péché originel, ce n’est pas prétendre qu’elle n’a jamais eu de choix libre à poser pour refuser le mal. Marie s’est engagée dans la grâce qu’elle a reçue ; elle y a répondu par une vie où jamais elle n’a cédé au péché. Saint Irénée dira ainsi : « ce que la vierge Eve avait noué par son incrédulité, la vierge Marie l’a dénoué par sa foi ». Et le Pape Jean Paul II, dans son homélie du 15 août 2004 à Lourdes, dira, comme un testament : « nous savons que nous pouvons compter sur l’aide de celle qui, n’ayant jamais cédé au péché, est la seule créature parfaitement libre. C’est à elle que je vous confie ».

Ainsi, dans les bras de Marie, nous pouvons avancer sur le chemin de la sainteté. La Vierge préservée de tout péché nous montre que la complicité avec le mal n’est pas une réalité inéluctable de nos vies. Le mal n’est pas l’une des composantes de notre être : « qu’est-ce que vous voulez, je suis comme ça je ne vais pas changer…. ». Si, il est toujours possible de changer, de lutter contre le mal et de l’emporter sur le péché, par la grâce du Christ. Le péché n’est jamais une fatalité.

Et le Concile Vatican II, dans la constitution Lumen Gentium, nous encourage : « si l’Eglise, en la personne de la bienheureuse Vierge Marie, atteint déjà à la perfection (…) les fidèles du Christ, eux, sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché : c’est pourquoi ils lèvent les yeux vers Marie » (LG 65).

 

Conclusion

En Marie, par sa conception immaculée et par toute sa vie, nous contemplons la beauté dont l’être humain est capable, avec le secours de la grâce. Je citais, lors de la messe qui a eu lieu tout à l’heure, ces paroles de Jean Anouilh : « La beauté est l’une des rares choses qui ne font pas douter de Dieu ». Nous avons bien d’autres raisons, comme disciples du Christ, de ne pas douter de Lui, mais il faut reconnaître que la laideur dont le monde est capable, la laideur dont chacun de nous est capable par son péché, met un frein à l’agir du Seigneur et au témoignage de son amour.

 

Fêter l’Immaculée Conception, c’est nous rappeler que nos capacités à rendre nos vies et celles des autres plus belles - à rendre nos âmes plus belles ! - dépend fondamentalement de l’amour divin et de la victoire obtenue par le Christ sur la croix, victoire sur toutes les laideurs.  Dans sa prière à Marie, Saint Anselme disait ainsi : « Le ciel et les astres, la terre et les fleuves, le jour et la nuit, tout ce qui obéit ou sert à l'homme, se félicite d'être par toi, ô notre Dame, rendu en quelque sorte à sa beauté première, et même doté d'une grâce nouvelle et ineffable. Car tous, pour ainsi dire, étaient morts, alors que dépouillés de leur dignité naturelle (…) ils étaient opprimés et dégradés par un culte idolâtrique, étranger au but de leur existence ».

 

Célébrer l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, c’est donc fixer nos regards sur le but de notre existence, qui est de participer à la beauté divine éternellement, en prenant soin, dès maintenant, de lutter contre nos complicités avec le mal. Que Notre Dame du Laus, Mère de Miséricorde et refuge des pécheurs, nous y aide par sa présence maternelle, si douce, si attentive, si belle !

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